Quelques questions à Charlotte Milandri

Mon premier pas dans la rentrée littéraire, je l’ai fait en tenant la main de Claire, le personne principal de Au sol, fabuleux premier roman de Charlotte Milandri. Arrêtez-vous sur cette pépite qui paraîtra le 30 août aux Éditions des Équateurs.

J’ai eu la grande chance de poser quelques questions à son autrice que je remercie encore du fond du cœur. C’était une joie et un honneur de pouvoir l’interviewer !

L’envie d’un premier roman vous trottait-elle dans la tête depuis longtemps ?

Je ne sais pas si j’avais envie d’un premier roman, si c’était une idée en tant que telle. J’écris depuis quinze ans, j’ai mis du temps à m’autoriser à le faire, j’ai commencé dans mon coin, dans mes nuits, sans rien en dire. Il y a dix ans j’ai écrit une première version d’Au sol qui n’a plus rien à voir avec ce texte publié, mais Pollock était déjà là. Et plus que l’envie, la nécessité d’écrire. De là à imaginer un roman, la publication, l’existence dans d’autres mains que la mienne, je ne me le figurais pas vraiment, comme si cela était trop prétentieux. 

Pouvez-vous nous parler du titre que vous avez choisi, « Au sol » ? De ce qu’il renferme ? 

Il renferme tout. C’est difficile de trouver un titre, et pourtant c’est essentiel. Il doit tout contenir et en même temps laisser de la place au lecteur. Le titre de travail du manuscrit n’était pas celui-là, je n’aimais pas ce qu’il était. Et puis vers la fin du texte, en discutant avec la personne sans qui ce texte ne serait pas ce qu’il est, ces deux mots sont apparus comme une évidence. Pour leur sonorité, pour ce qu’ils disent de la descente, de la peinture de Pollock aussi, et je crois qu’écrire c’est accepter de tomber, d’accepter d’aller au plus près de ce que l’on ne veut pas voir, accepter le risque de blessure.

Comment avez-vous construit le personnage de Claire : sa personnalité, sa psychologie, ses failles ?

Je ne sais pas si l’on construit un personnage, on l’apprivoise, on le rencontre. J’avais des textes courts, des fragments très en colère, mais comme des poésies. Je savais qu’il me fallait quelqu’un pour les porter. C’est un jour sur un banc que Claire s’est invitée, un texte, une voix. Ce texte là ne figure pas dans le manuscrit, il était le manifeste de Claire. Après, je me suis laissée porter, j’y ai mis des choses de moi évidemment mais tout en sachant que c’était elle. C’est étrange de cheminer avec un autre que soi juste à côté, elle prenait beaucoup de place Claire, mais j’ai besoin d’être habitée par d’autres que moi, des plus grands que moi, c’était elle. Sa langue, sa manière d’habiter le monde, sa violence aussi, son intensité. Mettre dans Claire tout ce que la vie ne permet pas. 

Pourquoi Pollock ? Pourquoi pas Rothko, auquel Claire fait parfois allusion, par exemple ? Pourquoi cet artiste-là plutôt qu’un autre ? 

Parce que Pollock et aucun autre. Il y a une scène du livre où Claire tombe en arrêt devant une toile de Pollock, totalement abasourdie par la puissance de la toile, avec cette sensation que quelqu’un l’a comprise, que cette toile immense dessine totalement son intérieur. Cette scène là est vraie, j’étais à New York il y a plus de dix ans et je suis restée en arrêt devant cette toile, j’ai compris que j’avais fait une rencontre importante. J’ai commencé alors à écrire des lettres à Pollock (qui en réalité étaient des lettres adressées à moi-même) pour comprendre cette fascination et surtout ce que cela racontait de moi. J’ai ensuite lu la biographique de Pollock, et derrière l’artiste j’ai découvert l’homme, le petit garçon perdu qui m’a profondément touchée. 

Pourquoi avoir choisi de nous raconter Claire à la 3e personne ?

Quand j’ai terminé le travail sur Claire, que je me suis dit je suis allée au bout, j’ai donné le manuscrit à lire et je me suis dit, j’aurais dû tout écrire au je, je me suis trompée. Je passe ma journée à lire des manuscrits et à accompagner des auteurs en leur posant cette question-là, du choix fondamental de la voix narrative, de qui porte l’histoire et de quelle manière. J’ai essayé au je et ça ne fonctionnait pas. La voix de Claire est au elle, sa musicalité aussi. J’avais besoin de parfois la regarder comme on regarderait une marionnette pour pouvoir disséquer ses mouvements. 

Claire achète un tube de gouache après chaque audience. Elle sort d’elle-même face aux toiles de Pollock, elle se sent mieux quand elle se confie à lui. Voyez-vous la peinture, ou même l’art, comme un des seuls moyens de sauver Claire ?

Je crois que l’art est le seul moyen de se sauver oui, de trouver du sens à la vie ordinaire. Il y a l’amour aussi me direz vous, effectivement mais cela dépend d’un autre. Dans l’art, il y a l’absolu, il y a la quête. Claire est trop intense pour la vie ordinaire. Je voulais interroger : où est ce qu’on va quand tout paraît fade ? Quand on sait que rien ne suffira ? L’art est une réponse je crois.  

Votre écriture est extrêmement vive, sensible, frontale. Comment la travaillez-vous ? Lisez-vous certaines phrases à voix haute ?

Merci pour les qualificatifs. Je travaille tout mon texte à voix haute oui. L’écriture est une musique. Chaque phrase doit avoir sa place, sinon elle n’a pas lieu d’être. Je ne la travaille pas beaucoup sur le papier, à dire vrai. Je la travaille en sous-marin. Je porte le texte en moi, et une fois que j’ai trouvé la voix, la manière de parler du personnage, alors les textes sortent d’une traite, et sans forcément avoir besoin de beaucoup les travailler. Je crois qu’on écrit en permanence, presque plus quand on est loin du clavier ou du carnet. Les phrases se fabriquent dans le ventre avant de les écrire.

J’ai pris l’habitude de demander aux autrices et auteurs que j’ai la chance d’interviewer le titre de leur dernier coup de cœur. Pouvez-vous partager le vôtre avec nous ?

N’en choisir qu’un, c’est toujours difficile. Je crois que je vais partir sur un recueil de fragments de poésie. Quand je me ne dis rien, je pense encore de Camille Readman-Prud’Homme aux éditions L’oie de cravan. Ce livre est un coup de poing, avec des phrases que j’aurais rêvé d’écrire. C’est puissant, fort, il reste dans mon sac depuis. C’est tellement précieux un livre où l’on se reconnaît et qui est une consolation, c’est pour cela qu’on lit, pour être consolée et savoir qu’alors on ne sera jamais seul.

Merci encore à Charlotte Milandri et à sa maison d’édition !